Georges
Les personnes (IV)
Elle lui explique que son amie achĂšte peu de bijoux, peu de fringues mais que tout ce qu’elle achĂšte est quali. D’ailleurs sa veste de ski est une Rossignol et sa montre une Cartier. Ils sont assis dans un carrĂ© de mĂ©tro l’un face Ă l’autre, en tenues de randonnĂ©e chics et discutent de leurs amis donc. Il tient un gros tĂ©lĂ©phone pomme Ă©quipĂ© de trois objectifs et elle un petit sac de chocolats suisses.
Elle rappelle que c’est Fred qui a quittĂ© son amie. Fred a des idĂ©es bien arrĂȘtĂ©es et une forme d’idĂ©alisme sur plein de trucs. Le retour en France n’est pas simple. Fred repartira certainement. Dâailleurs, ils seront nombreux au mariage cet Ă©tĂ© et Louise sera triste car la rupture avec Aurel’ a Ă©tĂ© compliquĂ©e. Elle est dĂ©vastĂ©e. Pareil pour Marine, elle est dĂ©vastĂ©e. C’est compliquĂ© aussi. Elle ne dit pas qu’il y a des ruptures simples (parce que ça fait toujours quelque chose) mais voilĂ …
La ligne 5 continue son chemin aprĂšs JaurĂšs. Ils ne sont quâĂ deux stations. Dans deux minutes ils seront arrivĂ©s. Elle n’est absolument pas motivĂ©e par sa semaine, lui non plus.
Enfin. Ils arrivent et elle lui demande s’il se rappelle ce qu’elle lui avait dit au sujet d’Antoine. Ourcq, publicitĂ© pour Le Bon MarchĂ©. Ils sortent de la rame et prennent Ă gauche sur le quai.
Les personnes (III)
Il porte un t-shirt blanc sans inscription et son pantalon s’appelle « le pantalon ». C’est Ă©crit sur une petite Ă©tiquette de sa poche arriĂšre. Il a les cheveux hirsutes et des lunettes rondes Ă grosse monture. Il appuie sur entrĂ©e une fois, deux fois mais le wifi ne fonctionne pas.
Il a mal au cou alors il se masse doucement. Le claviotement de ses emails accompagne les raclements de gorge, les cliquetis de stylo, les soupirs, les pages de journaux et les soupirs encore.
Il ouvre son agenda numĂ©rique puis plonge dans lâinstagram mais les messages arrivent. La conversation avec Amaury et les copains, un emoji PTDR et une notification des Ăchos. Selon son tĂ©lĂ©phone il fait douze degrĂ©s et le PSG a perdu hier soir. Il sâĂ©tire, le wifi est revenu.
Les personnes (II)
Ils pensent que les NFT câest la rĂ©volution. Ils ont mis Nirvana dans une tĂ©lĂ© cathodique et leurs dessins sur des feuilles
A4.
Ils disent leur CV. Ils ont travaillĂ© dans la publicitĂ© et puis dans les pure-players et ensuite ils sont rentrĂ©s dans le plus grand groupe de mĂ©dias au monde oĂč ils exercent le nouveau mĂ©tier de stratĂšge
créatif.
Ils ne savent pas trop quoi penser de quelquâun qui travaille Ă lâuniversitĂ©. Ils disent aussi que ce nâest pas possible de vivre en dehors de Paris mais que quand mĂȘme que ça attire de plus en plus de monde, avec le confinement. Ils disent que câĂ©tait dur pour leur couple. Ils disent quâils se sont sĂ©parĂ©s, quâil est tombĂ© dedans, que tu devrais avoir une complĂ©mentaire car la retraite ils nây croient pas. Ils disent quâil ne faut pas ĂȘtre naĂŻf, quâil faut ĂȘtre malin.
Les mots (III)
Jâattends le train
des valises alors
celui des marchandises se propose.
Je monterais, bum, entre deux wagons,
tĂ©lĂ©phone perdu sur lâattelage
et je partirais pour dix ans.
La police dirait que ça arrive,
les emails sâempileraient
et je voyagerais lâabsence.
Au jour exact je reviendrais
et jâapprendrais les trajectoires
des choses et des gens.
Celui des marchandises s’en va
et je monte dans le train
des mots qui savent oĂč ils vont.
Les mots (II)
Les mots se décolleraient des emballages
Ă mon sifflement.
On sâtire.
Ils me suivraient hors du magasin,
devant le caissier.
MalgrĂ© lâalarme,
ils nâĂ©couteraient que moi
et jâavancerais
avec ma traĂźne.
(DĂ©jĂ cinq cents mĂštres, je plonge dans lâescalier.
Les derniers quittent les rayonnages,
réveillés contre une mie de pain).
Dans le magasin, on ne saurait plus que compter.
Je marcherais jusquâĂ la SaĂŽne
et jâenseignerais comment flotter.
(Je remonte et je mâendors,
les mots coulent vers le confluent,
puis le RhĂŽne, puis Vienne. Valence.
J’ai dĂ©ja oubliĂ© mes compagnons, MontĂ©limar.
La MĂ©diterranĂ©e, chacun sâinstalle.
Mille ans que je ne suis plus lĂ
et le plus petit d’entre eux est dĂ©terrĂ©
sur une plage brésilienne).
Sel.
Les mots (I)
Il voudrait trouver son mot,
celui qui contiendrait tout.
Depuis toujours,
il aime
et c’Ă©tait lĂ
et il ne lâavait pas vu,
lâidiot.
Mais maintenant, il a le mot
et il dit oĂč aller.
Et il peut rentrer dedans.
Et derriĂšre le mot, il y en a dâautres,
de plus en plus purs.
Et puis plus quâun – une racine de mot.
Alors il revient au mot
mais il est moins joli.
Il a toujours aussi aimé.
Il a trop gratté,
il a abßmé le mot.
Le mot est tout pâtit.
Il ne dit plus oĂč aller,
de quoi souvenir.
Il est cassé
alors il finit sur les autres.
Dimanche
Qu’est-ce que c’est que l’on fait quand on fait
semblant de crier ?
Expirer sur ses cordes
et falsifier un cri.
Quand elle s’en rend compte,
je n’ose plus crier le vrai cri.
Les personnes (I)
Découpé
Il nây jamais une seule bonne façon de faire les choses,
Ce n’est pas de l’innovation tant que ce nâest pas lancĂ©,
Ce qui se passe sur les réseaux sociaux reste pour toujours sur Google.
DĂ©coupĂ© sur les murs d’une entreprise.
Finir mon rendez-vous,
Je t’envoie ça tout de suite.
Découpé dans un appel téléphonique.
Baise la médiocrité,
Anticipe ton déjeuner,
Avance vite.
DĂ©coupĂ© sur les murs d’une entreprise.
BibliothÚque dévoile
Le siĂšge fait peau neuve
Bilan et réformes.
Découpé dans le journal.
La danse du linge,
La dépigeonnisation.
Kiss me hard before you go.
Découpé depuis le bureau
Poubelle sous le fauteuil,
accÚde au réseau,
l’art du bonheur,
Ă la verticale de soi.
Découpé dans le train.
Le traĂźtre
Picasso.
Business card.
Découpé depuis le lit.