Une parcelle jaune

 
Sur la carte, il y a trois routes qui forment un triangle. À l’intérieur, on trouve de petites formes jaunes. Il faut zoomer sur la parcelle la plus sèche pour arriver à l’histoire.
 
Entre le sol et le soleil, on voit la gendarme. Elle est face au trou, les mains sur les hanches, elle parle. Là, vu la profondeur, je vais devoir le signaler. On ne peut pas faire ça comme ça. Il y a quoi, pas loin de cinq mètres ? Oui, cinq mètres, cinq mètres cinquante. Elvisse pique sa pelle dans l’herbe. De l’autre côté du trou, une voiture est sur le flanc. C’est une baleine et l’eau s’est évaporée.
 
Ce qui m’embête, c’est que si ça n’avait pas atterri dans votre jardin, vous auriez continué. Je m’trompe ? Est-ce que j’me trompe ? Elvisse sort un mouchoir et s’essuie le front. On ne peut pas creuser comme ça. D’abord on peut toucher une conduite et puis il faut demander des autorisations. Il faut faire des papiers et demander des permis enfin vous voyez ce genre de choses. Elvisse agrippe son seau. Est-ce que vous voyez ce genre de choses ou pas ? Vous voulez parler des choses qui concernent les demandes, les formulaires ou les autorisations ? Oui, celles-là. Non. Bon, de toute manière il faudra déclarer ça en mairie et passer nous voir cette après-midi. Elvisse hoche la tête. La gendarme regagne sa voiture, suivi de ses collègues, rangés du plus petit au plus grand.
 
Dans le bourg, au premier étage de la mairie, la secrétaire a l’index sur l’écran. Il faut une autorisation pour, je-cite, la réalisation d’opérations d’affouillement et d’exhaussement du sol d’une profondeur ou d’une hauteur excédant deux mètres et-et-et qui portent sur une superficie supérieure ou égale à cent mètres carrés. Donc théoriquement, je-dis-bien-théoriquement, cette personne est autorisée à creuser. De toute manière qu’est-ce qu’elle veut nous faire avec ce trou ? La gendarme hausse les épaules. Ses collègues font la même chose en cascade. Si c’est pour aller chercher les canalisations, la mairie va porter plainte. La gendarme est d’accord et elle répond. On va tirer ça au clair. Elle allonge le mot clair, d’abord en tapant le comptoir de la paume, puis en laissant glisser sa main. La peau, la sueur et le revêtement crissent ensemble. Elle fléchit les genoux et laisse partir ses fesses en arrière en soutenant le regard de la secrétaire. Sa main glisse toujours, elle franchit le rebord. C’est un morceau de fromage bon et rigolo avec des yeux, une bouche et des cheveux. Ses collègues restent fermes.
 
La gendarme est revenue dans sa maison de gendarme. Elle lance des recherches sur son ordinateur. Elle ne trouve rien sur Elvisse et la correspondante locale se présente. Elle vient pour l’accident. J’ai vu la voiture-baleine. Elle sort un carnet et la gendarme coupe sa respiration. Et puis je voulais aussi parler du trou. La gendarme expire. Qu’est-ce que c’est alors ? J’ai lu qu’un anglais avait fait pareil alors j’ai pensé que c’était pour le battre. Dans mon imagination, j’ai aussi pensé que ça pouvait être une éolienne. Je t’arrête, ce que tu dis ce sont des balivernes. C’est un peu comme des mensonges si tu préfères car, car-car-car, pour construire une éolienne il faut un permis. Elle congédie la correspondante locale et retourne à son ordinateur. Elle clique sur des icônes de dossiers, ses collègues cliquent sur des icônes de flèches.
 
À dix-huit heures, elle ferme la grille. À l’étage du dessus, elle retrouve Brooklyn. Brooklyn fait des remarques. Et si c’était un truc pour devenir riche ? Et comment est-ce qu’on devient riche en creusant un trou ? Eh bien ! en vendant de la terre ou en faisant visiter le trou mardi. Pardon, je voulais dire pardi mais j’ai dit mardi. Tu dis des foutaises. Mais non parce que les spectateurs pourraient acheter un ticket. Et ils pourraient regarder le trou et peut-être descendre à l’intérieur et apprécier leur visite. Les collègues acquiescent.
 
La gendarme termina son assiette,
 
prit son bain,
 
enfila son pyjama
 
et se brossa les dents.
 
Brooklyn lui lut une histoire et elle remonta le drap jusqu’à son menton. Comme il faisait trop chaud elle s’en défit. La gendarme pensa, ferma, les yeux. Demain elle allait conduire jusqu’à lui dire, que les dossiers, lunettes de mairie, aux éoliennes, qu’il faut des permis de tribunal du, trou.
 
Elle sonne à la porte d’Elvisse à l’aube. Elle sonne une deuxième fois, plus longtemps. Comme on n’ouvre pas, elle fait quelques pas le long de la clôture. Elle entre sur le terrain en suivant les traces de freinage, contourne le gros machin et marche en direction du trou. Un seau remonte très-très-vite et s’arrête contre la poulie. Deux gants sortent puis la tête. Le faisceau de la lampe frontale fait hausser la main de la gendarme. Bonjour. Elvisse saisit le seau, la gendarme rompt le pare-soleil. Elvisse vide le seau. Bonjour. Je vous ai attendu hier. Oui. Vous n’avez pas respecté la convocation. Elvisse tape sur son jean pour en faire tomber la glaise. Et le non-respect d’une convocation, c’est très-très-grave. Elvisse éteint sa frontale. Je cherche un endroit où écrire. Quoi ? Je cherche un endroit où écrire. Elvisse reprend son seau et saisit chaque côté de l’échelle. Il engage sa jambe droite, échange ses mains de place, bascule son corps au-dessus du vide et pose son pied gauche sur un barreau.
 
L’histoire commence à sécher dans les ondulations qui viennent. Il faut la laisser. Elvisse s’installe à l’intérieur d’une parcelle jaune. Dans le triangle de trois routes, la gendarme apprend à fondre et la voiture à chanter. On quitte la carte pour trouver un autre refuge.
 
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