Faire tout bien

Faire tout bien et l’adjudant se tenait face au trou, les mains sur les hanches. Parce que là, vu la profondeur, je vais devoir le signaler en mairie. Il regardait Georges. On ne peut pas faire ça comme ça, comme on veut. Là y’a quoi ? Pas loin de cinq mètres ? Oui, cinq mètres, cinq mètres cinquante. Georges piqua sa pelle dans l’herbe. Là-bas, une Clio se tenait sur le flanc.
 
Non parce que moi, ce qui m’embĂŞte, c’est que si le jeune n’avait pas atterri dans votre jardin, vous auriez continuĂ© votre affaire. Je m’trompe ? Est-ce que j’me trompe ? Georges sortit un mouchoir de sa poche de chemise et s’essuya le front. On ne peut pas creuser comme ça dĂ©jĂ  parce que vous auriez pu toucher une conduite et puis parce qu’il faut une autorisation et puis, imaginez, si la voiture avait glissĂ© jusqu’au trou. Georges se pencha pour agripper son seau. Bon de toute manière, lĂ , c’est dĂ©claration en mairie et il faudra venir nous voir cette après-midi. Georges fit un signe de tĂŞte, Poirat le salua et regagna sa voiture. Les petits officiers suivirent.
 
Arrivé dans le bourg, l’adjudant se gara devant la mairie.
 
La secrétaire lut sur son écran. Il faut une autorisation pour, je cite, la réalisation d’opérations d’affouillement et d’exhaussement du sol d’une profondeur ou d’une hauteur excédant deux mètres et, et, et qui portent sur une superficie supérieure ou égale à cent mètres carrés. Elle regarda l’adjudant par-dessus ses lunettes puis par-dessus le comptoir. Donc, théoriquement, il est autorisé à creuser parce que la superficie… De toute manière qu’est-ce qu’il veut nous faire avec son trou le monsieur ? Poirat avait toujours la bouche pincée. Parce que si c’est pour aller chercher les conduites de la commune, ça va au tribunal ça.
 
Ce qui perturbait Poirat c’est que Georges l’avait accueilli tranquillement, sans culpabilité. Et puis c’était un type que l’on voyait au village de temps en temps.
 
Je le reçois cette après-midi. On va tirer ça au clair. Il allongea le mot clair en tapant le comptoir de la paume, laissa glisser sa main jusqu’au rebord et partit.
 
Revenu Ă  la gendarmerie, Poirat lança des recherches sur sa machine. Rien sur Georges. C’est Ă  ce moment que se prĂ©senta le correspondant. J’ai appris pour l’accident de ce matin. Il sortit son carnet et Poirat suspendit sa respiration. Et puis Ă©videmment je voulais aussi te parler du trou. C’est quoi ? Un test ? Une tentative de re-cord ? Parce que j’ai lu sur Internet qu’un anglais avait fait un truc dans le genre. Sinon une Ă©olienne ? Poirat n’avait pas pensĂ© Ă  ça. De toute manière, pour une Ă©olienne, il fallait un permis. Il congĂ©dia le correspondant et se replongea dans ses icĂ´nes de dossiers – le trou – tout en Ă©chappant des regards vers la fenĂŞtre. Ă€ 18h, Poirat tourna la clĂ© dans la porte principale. Ă€ l’étage au-dessus, il en toucha un mot Ă  sa femme. Et si c’était simplement un truc pour se faire mousser, ĂŞtre connu quoi ou se faire de l’argent ? Comment on peut se faire de l’argent avec un trou ? Je ne sais pas pour vendre de la terre ou pour… Je ne sais pas pour, faire visiter le trou, avec un ticket, pour faire payer les gens. Des gens qui paieraient pour un ticket pour entrer dans le jardin pour regarder dans le trou.
 
Poirat termina son assiette,
la mit dans le lave-vaisselle.
 
Poirat regarda la télévision.
 
Poirat se brossa les dents.
 
Poirat jeta ses chaussettes en boule dans la corbeille.
 
Poirat remonta la couverture.
 
Poirat pensa. Poirat ferma. Les yeux.
 
Que ce soit un ingĂ©nieur ou un Ă©colo, demain, il allait conduire jusqu’Ă  lui dire, que les dossiers, que les lunettes de la mairie, des Ă©oliennes, qu’il faut, des permis de tribunal, du ; trou.
Ă€ l’aube, en basket, vĂŞtu d’un jogging, les yeux piquants, il sonna Ă  la porte. Une deuxième fois, plus longtemps avec une demi-croche de sonnerie supplĂ©mentaire pour terminer. Poirat fit quelques pas le long du terrain et entra via l’ouverture crĂ©Ă©e par la Clio. Il marcha entre le mur de la maison et les traces de freinage puis tourna au premier coin. Alors qu’il s’approchait du trou, il vit un seau Ă©merger de la cavitĂ© et s’arrĂŞter contre la poulie. Monsieur ? Deux gants suivirent puis la tĂŞte de Georges. Le faisceau de la lampe frontale fit hausser la main de l’adjudant devant ses yeux. Bonjour. Georges saisit le seau, Poirat rompit le pare-soleil, Georges vida le seau. Bonjour. Je vous ai attendu hier. Oui. Vous n’avez pas respectĂ© la convocation. Georges tapotait son jean pour en faire tomber la terre. Frontale, pare-soleil. Et le non-respect d’une convocation c’est grave.
 
C’est tout ce que j’ai trouvĂ©. Il Ă©teignit sa frontale. C’est pour Ă©crire l’histoire d’un type qui creuse un trou. Il reprit son seau, enfila la anse Ă  son bras droit et la remonta jusqu’au coude, il saisit chaque cĂ´tĂ© de l’Ă©chelle en flĂ©chissant lĂ©gèrement les genoux, engagea sa jambe droite dans le vide, la pivota contre un barreau, puis tout son corps, Ă©changea ses mains de place et mis son second pied sur le barreau du dessous. J’ai rien compris, quoi ? Et Georges descendait parce qu’il faut faire tout bien.