Excursus : sur le motcerveau

Nous avons tous un mot coincé quelque part dans le cerveau. La recherche méricaine le dit. La recherche anadienne le dit aussi, tout le monde le dit. Ce mot se situe quelque part dans le cortex préfrontal, au croisement du cinquième et du seizième neurone, caché derrière une petite porte de tissu sans clé, ouverte à qui le veut. Son identification par la neurologie remonte au milieu du siècle avant-dernier. Il a alors été qualifié de « mot-cerveau », puis de « motcerveau » (brainword) en référence à la notion linguistique de « mot-forme » (wordform). Le motcerveau se développe autour du troisième mois de grossesse dans la rencontre entre les deux mots portés par les géniteurs. Si nous ne connaissons pas encore avec suffisamment de précision les raisons de la formation du motcerveau chez le fÅ“tus, il correspondrait vraisemblablement à l’entremêlement des lettres présentes dans les motcerveaux des parents, à la façon d’un anagramme. Bien évidemment, des lettres peuvent disparaître au cours de ce processus. C’est évident. Dans l’étude résilienne, il est montré qu’environ 47% des lettres, en moyenne, sont perdues à la rencontre entre les deux motcerveaux-parents. Ainsi, si l’un des géniteurs porte le mot « recherche » et que l’autre porte le mot « poésie », alors l’enfant pourra naître avec les mots « sorcière », « perchoir » ou encore « orphies » dans la tête – ou plutôt dans le cerveau.
 
Dans certain cas très spécifiques, l’enfant peut également naître avec un motcerveau-composé en tête. Ce sera le cas de celui dont les géniteurs porteraient, par exemple, les mots « porte » et « feuille » (portefeuille) ou encore « médecin » et « chef » (médecin-chef). Dans certains cas plus spécifiques encore, la rencontre des motcerveaux-parents peut produire un motcerveau-valise. Une équipe de recherche ustralienne témoigne du cas d’une jeune fille (8 ans) portant en elle le mot « bibliobus ». La rencontre entre les motcerveaux-parents semble ainsi avoir opéré par fusion-élision des mots « bibliothèque » et « autobus ». Notons que la recherche ne s’est pas encore penchée sur l’identification et la formation des motcerveaux dans les langues picto- et idéographiques.
 
Si l’existence du motcerveau a été mise en évidence par les neurosciences, elle intéresse également la psychologie. Son identification précoce semblerait faciliter le développement des facultés cognitives, langagières, affectives et sociales. Une meilleure compréhension des mécanismes d’identification du motcerveau semble donc constituer un enjeu de santé majeur pour les années à venir et celles d’avant et celles d’après. Comment mieux accompagner les enfants et les adultes dans l’identification de leur motcerveau ? Comment mieux sensibiliser l’environnement familial et les acteurs de l’éducation à la découverte du motcerveau ? Comment mieux encadrer les cas atypiques (motcerveaux-composés, motcerveaux-valise), propices au manque d’efficacité dans les relations sociales, économiques et environnementales ?
 
Une telle recherche n’est pas sans poser des questions d’ordre éthique aux chercheurs spécialistes des motcerveaux. Pour le docteur Atrick, c’est la « […] question de l’autonomie de l’individu dans l’auto-détection du mot qu’il faut désormais poser ». Le motcerveau est en effet clairement lisible de la petite enfance jusqu’au début de l’âge adulte. En revanche, la recherche montre que le processus de vieillissement produit un recouvrement progressif, par le tissu nerveux, de la petite porte derrière laquelle celui-ci se trouve. Le risque est alors de ne plus pouvoir accéder au motcerveau en raison d’une amplitude de battement insuffisante. À trente ans, le motcerveau n’est déjà plus identifiable par les techniques de prise de vue habituelle, sauf dans les cas où les individus présenteraient un entrebâillement dès la naissance. Ces cas sont cependant rares.
 
Comme le rappelle le docteur Atrick, la priorité est à la régulation des ouvertures de porte. La découverte du processus de recouvrement nerveux favorise  l’émergence d’un marché libre de tout encadrement professionnel et législatif. En témoigne la multiplication, sur l’Internet, des publicités vantant l’extraction du motcerveau par fracturation. Rappelons, si besoin était, que c’est extrêmement dangereux.