Les personnes (V)

Trois jours de barbe. Il porte une chemise bleu clair sous une veste sportswear. Sa calvitie est classe, comme celle de Zidane en 2006. Il travaille dans le management mais ses lunettes disent son cĂŽtĂ© culturel. Sa tĂȘte est Ă©quipĂ©e d’un gros casque Sony. Dans la file d’attente du bar TGV, il lit son tĂ©lĂ©phone avec dĂ©sapprobation puis il part vers la fenĂȘtre regarder le paysage. Il commande finalement un double expresso mais il a toujours ce petit mouton de poussiĂšre suspendu Ă  la barbe. Il part en disant merci avec un petit clin d’Ɠil.

Les personnes (IV)

Elle lui explique que son amie achĂšte peu de bijoux, peu de fringues mais que tout ce qu’elle achĂšte est quali. D’ailleurs sa veste de ski est une Rossignol et sa montre une Cartier. Ils sont assis dans un carrĂ© de mĂ©tro l’un face Ă  l’autre, en tenues de randonnĂ©e chics et discutent de leurs amis donc. Il tient un gros tĂ©lĂ©phone pomme Ă©quipĂ© de trois objectifs et elle un petit sac de chocolats suisses.

Elle rappelle que c’est Fred qui a quittĂ© son amie. Fred a des idĂ©es bien arrĂȘtĂ©es et une forme d’idĂ©alisme sur plein de trucs. Le retour en France n’est pas simple. Fred repartira certainement. D’ailleurs, ils seront nombreux au mariage cet Ă©tĂ© et Louise sera triste car la rupture avec Aurel’ a Ă©tĂ© compliquĂ©e. Elle est dĂ©vastĂ©e. Pareil pour Marine, elle est dĂ©vastĂ©e. C’est compliquĂ© aussi. Elle ne dit pas qu’il y a des ruptures simples (parce que ça fait toujours quelque chose) mais voilĂ …

La ligne 5 continue son chemin aprĂšs JaurĂšs. Ils ne sont qu’à deux stations. Dans deux minutes ils seront arrivĂ©s. Elle n’est absolument pas motivĂ©e par sa semaine, lui non plus.

Enfin. Ils arrivent et elle lui demande s’il se rappelle ce qu’elle lui avait dit au sujet d’Antoine. Ourcq, publicitĂ© pour Le Bon MarchĂ©. Ils sortent de la rame et prennent Ă  gauche sur le quai.

Les personnes (III)

Il porte un t-shirt blanc sans inscription et son pantalon s’appelle « le pantalon ». C’est Ă©crit sur une petite Ă©tiquette de sa poche arriĂšre. Il a les cheveux hirsutes et des lunettes rondes Ă  grosse monture. Il appuie sur entrĂ©e une fois, deux fois mais le wifi ne fonctionne pas.

Il a mal au cou alors il se masse doucement. Le claviotement de ses emails accompagne les raclements de gorge, les cliquetis de stylo, les soupirs, les pages de journaux et les soupirs encore.

Il ouvre son agenda numĂ©rique puis plonge dans l’instagram mais les messages arrivent. La conversation avec Amaury et les copains, un emoji PTDR et une notification des Échos. Selon son tĂ©lĂ©phone il fait douze degrĂ©s et le PSG a perdu hier soir. Il s’étire, le wifi est revenu.

Les personnes (II)

Ils pensent que les NFT c’est la rĂ©volution. Ils ont mis Nirvana dans une tĂ©lĂ© cathodique et leurs dessins sur des feuilles
A4.
Ils disent leur CV. Ils ont travaillĂ© dans la publicitĂ© et puis dans les pure-players et ensuite ils sont rentrĂ©s dans le plus grand groupe de mĂ©dias au monde oĂč ils exercent le nouveau mĂ©tier de stratĂšge
créatif.
Ils ne savent pas trop quoi penser de quelqu’un qui travaille Ă  l’universitĂ©. Ils disent aussi que ce n’est pas possible de vivre en dehors de Paris mais que quand mĂȘme que ça attire de plus en plus de monde, avec le confinement. Ils disent que c’était dur pour leur couple. Ils disent qu’ils se sont sĂ©parĂ©s, qu’il est tombĂ© dedans, que tu devrais avoir une complĂ©mentaire car la retraite ils n’y croient pas. Ils disent qu’il ne faut pas ĂȘtre naĂŻf, qu’il faut ĂȘtre malin.

Les mots (III)

J’attends le train
des valises alors
celui des marchandises se propose.
Je monterais, bum, entre deux wagons,
tĂ©lĂ©phone perdu sur l’attelage
et je partirais pour dix ans.
La police dirait que ça arrive,
les emails s’empileraient
et je voyagerais l’absence.
Au jour exact je reviendrais
et j’apprendrais les trajectoires
des choses et des gens.
Celui des marchandises s’en va
et je monte dans le train
des mots qui savent oĂč ils vont.

Les mots (II)



Les mots se décolleraient des emballages
Ă  mon sifflement.
On s’tire.
Ils me suivraient hors du magasin,
devant le caissier.
MalgrĂ© l’alarme,
ils n’écouteraient que moi
et j’avancerais
avec ma traĂźne.

(DĂ©jĂ  cinq cents mĂštres, je plonge dans l’escalier.
Les derniers quittent les rayonnages,
réveillés contre une mie de pain).

Dans le magasin, on ne saurait plus que compter.
Je marcherais jusqu’à la Saîne
et j’enseignerais comment flotter.

(Je remonte et je m’endors,
les mots coulent vers le confluent,
puis le RhĂŽne, puis Vienne. Valence.
J’ai dĂ©ja oubliĂ© mes compagnons, MontĂ©limar.
La MĂ©diterranĂ©e, chacun s’installe.
Mille ans que je ne suis plus lĂ 
et le plus petit d’entre eux est dĂ©terrĂ©
sur une plage brésilienne).

Sel.

Les mots (I)

Il voudrait trouver son mot,
celui qui contiendrait tout.
Depuis toujours,
il aime
et c’Ă©tait lĂ 
et il ne l’avait pas vu,
l’idiot.
Mais maintenant, il a le mot
et il dit oĂč aller.
Et il peut rentrer dedans.
Et derriùre le mot, il y en a d’autres,
de plus en plus purs.
Et puis plus qu’un – une racine de mot.
Alors il revient au mot
mais il est moins joli.
Il a toujours aussi aimé.
Il a trop gratté,
il a abßmé le mot.
Le mot est tout p’tit.
Il ne dit plus oĂč aller,
de quoi souvenir.
Il est cassé
alors il finit sur les autres.

Les personnes (I)

Un type Ă  vĂ©lo, deux mecs fumant dans une voiture Ă  l’arrĂȘt prĂšs de l’endroit oĂč vont dormir les trains, ce qui semblait ĂȘtre une Ă©quipe de foot se prĂ©parant pour la reprise de la saison, deux jeunes hommes en jogging assis sur le pont, une voiture passant trĂšs rapidement avec trois femmes chantant par la fenĂȘtre puis, dans la forĂȘt, quelqu’un au loin qui venait de crasher son drone dans un arbre (deux lumiĂšres rouges, une lumiĂšre verte). Un stade de foot et ce petit arbitre de touche avec son drapeau orange et jaune. Ils sont deux. « Vous pouvez pas passer par lĂ  monsieur, faut faire le tour ou alors vous pouvez sauter par-dessus. Nous on l’a dĂ©jĂ  fait ». Chute sur le trottoir les deux mains en avant. « Ça va Monsieur, vous ne vous ĂȘtes pas fait mal ? ». « Oui c’est par lĂ , vous descendez toute la rue, il est lĂ  bas », un groupe de jeunes au parc de skate, des groupes de gens partout qui profitent du dernier jour d’aoĂ»t avec un mini-barbecue et un groupe de chinois qui joue aux cartes. Une femme qui marche avec des baskets Ă  semelle trĂšs haute et deux chiens. Un homme qui marche et qui s’arrĂȘte dans le noir contre le mur pour regarder le canal. British Petroleum, Carrefour et un entraĂźnement de rugby qui se termine.

Découpé

Fournis toujours plus que prévu,
Bouge vite et casse les rĂšgles,
ArrĂȘte de planifier, commence Ă  construire.
DĂ©coupĂ© sur les murs d’une entreprise.

Il n’y jamais une seule bonne façon de faire les choses,
Ce n’est pas de l’innovation tant que ce n’est pas lancĂ©,
Ce qui se passe sur les réseaux sociaux reste pour toujours sur Google.
DĂ©coupĂ© sur les murs d’une entreprise.

Voir le message d’erreur,
Finir mon rendez-vous,
Je t’envoie ça tout de suite.
Découpé dans un appel téléphonique.

Baise la médiocrité,
Anticipe ton déjeuner,
Avance vite.
DĂ©coupĂ© sur les murs d’une entreprise.

BibliothÚque dévoile
Le siĂšge fait peau neuve
Bilan et réformes.
Découpé dans le journal.

La danse du linge,
La dépigeonnisation.
Kiss me hard before you go.
Découpé depuis le bureau

Poubelle sous le fauteuil,
accÚde au réseau,
l’art du bonheur,
Ă  la verticale de soi.
Découpé dans le train.

Le traĂźtre
Picasso.
Business card.
Découpé depuis le lit.