La suite de Frioul

 

Mai 2023 (34 ans).

Il s’agit d’une rambarde constituée de deux pieds métalliques verticaux, plantés à une profondeur d’un mètre certainement et fixés par un bloc de béton. Un tube horizontal relie les sommets des deux verticaux par des soudures en arc de cercle. Cette rambarde-là est située au point culminant de l’île de Ratonneau dans l’archipel du Frioul. Appuyé contre elle, on voit une partie du port, les mâts des bateaux et peut-être quelques bars-restaurants saisonniers. En face, l’île d’If, son château, ses tours et son phare. À gauche, Marseille et Notre-Dame de la Garde, les massifs qui les dominent. Dans notre dos, le chemin de randonnée, le calcaire, la végétation protégée, un chemin, un autre, une falaise et en contre-bas une plage et la Méditerranée, d’abord turquoise puis bleu-bleu. Au-dessus, les goélands et encore au-dessus les avions et encore au-dessus le ciel, le soleil et puis plus rien.

Cette rambarde n’a pas toujours été là. Elle comporte des sections plus brillantes, côté chemin, et une trace produite par la boucle de ceinture de Pascal. Pascal venait de la Loire et il photographiait sa seconde femme. Il y a aussi eu Alessandro qui a griffé la rambarde avec le caillou le plus pointu du monde. Aujourd’hui, il y a Aurélie, un cavalier King Charles de trois ans qui découvre la rambarde par le flanc.

Avant d’arriver là, Aurélie est sortie d’un appartement situé sur les pentes de Lyon. Elle a pris un métro orange, un métro rouge et un métro bleu et puis un TGV à Gare Part-Dieu. Elle s’est ensuite endormie sur les jambes d’Elma et Everest puis elle s’est réveillée. Elma et Everest se sont concertés et ils ont fini par lui donner discrètement des petites chips à grignoter. Arrivée sur le parvis de la gare Saint-Charles, Everest lui a mis une laisse et toute la famille est descendue dans une location du quartier du Panier. Sur les murs on pouvait lire qu’il fallait mettre Airbnb dehors. Aurélie n’a pas compris, Elma et Everest ont culpabilisé et puis ils se sont rassurés en se promettant de consommer local. Le lendemain matin, Aurélie a découvert le Vieux-Port et un spectacle de rue en attendant le bateau de la RTM (Régie des Transports Métropolitains). Elle n’a pas payé pour embarquer, ni pour visiter le château d’If. Elle a croisé un groupe d’enfants avec des casquettes rouges à qui Everest a dit hola chicos. Depuis les bras d’Elma, Aurélie a vu les graffitis des bagnards dans les pierres mais elle n’a pas pu lire les panneaux sur le comte de Monte-Cristo. Elle n’a pas salué l’équipage du bateau menant les touristes d’If à Ratonneau mais elle a regardé dans la direction d’Everest quand il a taquiné Elma sur les compliments du capitaine. En descendant du bateau, Aurélie a profité d’un bol d’eau proposé par le bistrotier du Pub Marina. Elle a ensuite enfoui le museau dans un massif d’astragale le long du sentier qui la menait vers le sommet. Everest l’a prise dans ses bras sur les parties escarpées, tenue en laisse sur les sections fréquentées puis détachée au moment du panorama, Aurélie a aboyé les goélands qui nichent sur les rebords des falaises et attiré ceux qui veillent dans le ciel, leur vol a effrayé tout le monde et fait tomber Everest de la rambarde. Il faut imaginer cette page s’embuer de rouge du haut vers le bas.

Mai 2024 (35 ans).

Elle revient en prenant le TGV et elle s’interroge sur ses lunettes de soleil. Est-ce que c’est trop cliché ? Une personne ayant perdu son copain peut-elle porter des lunettes de soleil et regarder le paysage défiler par la fenêtre d’un TGV ? Est-ce qu’une veuve avec des lunettes de soleil peut regarder une fenêtre qui porte une étiquette demandant justement aux passagers de prendre le temps de regarder le paysage ? Aurélie est là aussi. Elles sont assises au second étage de la rame et occupent deux carrés silencieux avec la famille et les amis qui accompagnent le pèlerinage à la rambarde de l’archipel du Frioul et archipel est un mot magnifique. Et il fait beau sur l’archipel et Elma pleure des larmes chaudes dans l’archipel. Elma se dirige vers le port, bras dessus, bras dessous avec sa maman et Aurélie ne comprend rien aux tragédies et elles arrivent dans un bar et Elma mange une crêpe avec du beurre et du sucre et elle ne fume pas de cigarette et la troupe paye pour cette crêpe et la tournée de cafés. Tout le monde se dit que c’est très cher, même pour de la moyenne saison et on passe à côté du village-vacances et le cousin dit que c’est moche et tout le monde rigole et Aurélie pisse. On finit par aller voir la plage et on se dit qu’elle est belle et on emprunte le chemin qui mène vers le sommet. On monte et la meilleure copine prend la main d’Elma et elles marchent comme ça et Elma se gratte le bout du nez et les goélands sont dans le ciel mais elle s’en fout et tout le monde est là sauf la rambarde.

Mai 2026 (37 ans).

Elma connaît bien le chemin : trois métros, une gare, un TGV, une autre gare, un autre métro, un bateau. Cette fois-ci elle est accompagnée de la meilleure copine et d’Aurélie qui a un peu grossi. Elma arrive pour une enquête alors avant de commander quelque chose au Pub Marina elle montre une photo récupérée dans l’album d’internet d’un homme qui se prénomme Pascal.

Avez-vous déjà vu cette rambarde ? Pardon ? Avez-vous déjà vu cette rambarde ? Il ne comprend pas, il rigole, il prend la photo. Mon copain est mort il y a deux ans et elle était là. Oh, mince. C’est une photo que j’ai récupéré sur l’album d’internet de quelqu’un et je suis sûre que c’est elle. Ben… Quoi ? Ben j’en sais rien moi, c’est une barrière quoi. Il est gêné. Des barrière, y’en a plein ici, y’en a plein partout. Elle fronce. Mais oui votre photo elle a l’air d’avoir été prise ici, après à savoir si c’est une barrière que je connais… Ce que je peux vous dire c’est que oui c’est un peu le même genre de barrière que celles qu’on a sur l’île quoi. Non mais ça je sais bien et puis c’est une rambarde, pas une barrière ; une barrière, c’est pas la même chose enfin c’est légèrement différent, bref je vous parle de cette rambarde-là, précisément, est-ce que vous l’avez déjà vue ? J’en sais rien moi mais pourquoi vous voulez savoir ça ? Elle fronce encore. J’en sais vraiment rien de rien, après je peux demander derrière. Elle défronce. Je vais leur demander mais ils vont vous dire la même chose que moi. Elle regarde un bateau. Je reviens avec quelque chose ? Quoi ? Je vous mets quelque chose à boire ? Un café, une boisson, une crêpe ? Un perrier s’il vous plaît. On a pas de Perrier, on a de la Badoit rouge ou de la Badoit verte, les grosses bulles ou les petites bulles. Une rouge. Et pour vous madame ? Un Coca. Et le petit chien là, je lui amène quelque chose ? Vous voulez dire pour Aurélie ? Han, c’est drôle c’est le prénom de quelqu’un que je connais. Juste un bol d’eau et des chips. Je lui mets les chips dans un bol aussi ? Non, vous pouvez lui donner le paquet et elle se débrouille. Avec ses petites pattes ? Oui c’est ça avec ses petites mains de chien. Je vous amène ça et je leur montre la photo.

La Badoit verte, le Coca de madame, le bol d’eau et les chips. J’avais commandé une badoit rouge. Que voulez-vous, les grosses bulles sont parties. Tenez votre photo. Mais vous l’avez toute froissée enfin ! Désolé, il y avait un peu d’eau sur le comptoir. Mais ce n’est pas la mienne, je l’ai prise sur son album d’internet de quelqu’un ! Désolé madame, de toute façon avec ce soleil, ça va sécher. Si vous le dites. Et les collègues, ils disent la même chose que moi, votre barrière, votre rambarde, vous la retrouverez pas. Les rambardes, ça-va-ça-vient, surtout sur les îles. Elle fronce. Putain.

Mai 2030 (41 ans).

Take risks, trust yourself and your dreams will come true. C’est ce que dit la chemise devant elle dans la file d’attente des toilettes. Elma descend du TGV sans sa meilleure copine (qui n’est plus sa meilleure copine) et sans Aurélie (qui est morte – mais ça va elle n’y pense plus car cela fait déjà deux ans). Elma a arrêté son enquête quelques mois après sa dernière venue. Elle vient juste à Ratonneau pour déposer une petite fleur comme on le fait parfois le long des routes pour les motards. Elle enlève ses écouteurs, elle les met dans son sac, elle commence à marcher. D’abord prendre la route moche qui longe le village vacances. Han, ils ont rafraîchi les façades mais ça fait toujours aussi sale. Ils laissent toujours leurs poubelles le long de l’hôtel, c’est dégueu. Les gens doivent le dire sur google. Quatre étoiles. Ils ont dû se mettre des étoiles eux-mêmes. Quatorze avis. La moins bonne note : trois. Oh mon petit Everest.

Elma quitte enfin la route moche et monte avec sa fleur Ă  la main. Elle monte encore. Elle monte. Elle.

Elle retire ses lunettes. C’est une rambarde toute brillante avec des filins métalliques. Ils l’ont encore changée. Elma sort son téléphone et commence à photographier la rambarde. Elle en prend d’abord une de face en se mettant le plus loin possible sur le chemin. Elle en prend une deuxième et une troisième, toujours de face mais en se rapprochant un peu à chaque fois. Elle s’écarte ensuite sur la gauche et photographie la rambarde de biais. Elle fait pareil sur la droite. Elle met le téléphone dans sa poche arrière et regarde la rambarde avec les mains sur les hanches puis elle se rapproche. Elle passe la main dessus et s’arrête sur une petite rayure qu’elle gratte du bout de l’ongle. Elle sort son téléphone, ouvre l’appareil photo et touche à l’endroit de la rayure sur l’écran pour bien faire la mise au point. Elle se recule parce qu’elle était trop proche. Elle en prend quatre comme ça. Elle passe la main sur le filin supérieur et appuie dessus avec la paume pour en éprouver l’élasticité. Elma s’accroupit et prend une nouvelle photo du filin pour bien voir les fibres mais ça ne rend rien. Elle balaie avec sa semelle l’endroit où le tube métallique s’enfonce dans le sol et prend une nouvelle photo. En balayant encore un peu on voit se dégager un petit bloc de béton. Elle aime les rambardes ?

Je vous ai fait peur ? Bonjour. Bonjour. Je vous demandais si vous aimiez les rambardes. Oui, enfin non je regarde quoi. Mais vous la preniez en photo non ? Oui-non-comme-ça-quoi. Je dis ça parce que je m’occupe des rambardes sur l’île. Mais nan ? Si regardez c’est écrit sur le badge. Ah oui c’est écrit sur le badge ; vous devriez l’accrocher à votre cou avec une cordelette. Vous voulez dire un cordon ? Oui. Et vous travaillez ici depuis combien de temps ? Trois ans. Je sais que c’est une question bizarre – enfin peut-être pas de votre point de vue, je veux dire, si vous gérez des rambardes – mais vous savez quand est-ce qu’elle est arrivée celle-ci ? Celle-ci, l’année dernière. Parce que je me demandais ce qu’il y avait ici, avant, comme genre de rambarde. Un autre modèle mais elles sont toutes parties. Et encore avant, vous vous souvenez de ce qu’il y avait ? Aucune idée, c’était avant que je sois recruté. Ah. Oui. Et vous pourriez vous renseigner ? Sur quoi ? J’ai mené une enquête mais je n’ai jamais pu la retrouver, la rambarde qu’il y avait ici avant que vous n’arriviez. Il faut vous suivre vous. Vous pouvez le savoir ? Oui, je peux regarder dans le registre des rambardes. Vous avez un registre des rambardes ? Oui, enfin c’est un tableur Excel de ma confection mais c’est relativement robuste. On croit toujours qu’il faut des logiciels spécialisés pour tout mais, comme je le dis toujours, rien ne vaut un bon tableur, bien construit, c’est moins cher et plus souple.

Mai 2038 (49 ans).

Huit ans qu’elle n’est pas venue. Elle n’a pas envie de descendre du bateau. Elle ne sait pas ce qu’elle fout ici, elle est de mauvaise humeur et Bercy la fait chier. Ta gueule Bercy. Il lui fait tout un cinéma depuis six mois parce qu’il ne se sent pas légitime sur l’île. Il ne se sent pas à sa place, il ne sait pas comment gérer son histoire, quoi en faire. Il la comprend bien sûr mais tu sais, chat, que ce n’est pas facile pour moi non plus. Je ne sais pas où me mettre, quoi dire, je ne sais pas si je dois la fermer ou t’aider ou te prendre dans mes bras et te câliner ou me barrer ou te suivre ou n’importe quoi. Dis-moi ce que je dois faire, parle-moi, il faut que tu m’aides un peu sinon on ne va pas y arriver. Et bien sûr, je te le redis, ça n’enlève rien au fait que j’ai envie d’être là avec toi. Déjà parce que cet endroit est magnifique ; il faut le dire quand même. Et surtout parce que je t’aime et que je veux être là pour toi, rien que pour toi.

Alors qu’il doit juste la fermer, Bercy continue de parler.

Attablée au Pub Marina, Elma finit par lui sourire après un compliment. Il se lève et s’approche en faisant une moue d’enfant. Elle le prend dans ses bras en restant assise. Son dos se décolle légèrement de la chaise et la position n’est pas confortable. Son cou est tout tendu, tiré par son menton posé sur l’épaule de Bercy. Elle n’a pas envie et puis il fait chaud et tout le monde colle et toute la terrasse les regarde. Bercy finit par se comporter comme s’il était en vacances. Il commente le nom du bar qu’il juge impersonnel et le jean du serveur qu’il trouve drôle. Il dit que c’est quand même joli ces petits bateaux sur le port.

Regarde-la, elle va se gaufrer en descendant du pont. Ah nan. Et voilà, le petit bateau repart. Putain ça tape. Il faut prendre ce petit chemin-là ? Celui-là là ? Han la mouette, elle vole vachement bas. Pourquoi tu me regardes toi ? Je n’ai rien contre les mouettes moi, je ne veux pas te faire de mal mais toi c’est moins sûr. Oh, je te n’ai rien fait moi ! Elle doit avoir peur pour ses petits je pense. Regarde elle nous suit pour nous éloigner. C’est pour ça qu’elle nous suit. Eh mais ça tape vraiment hein ? Je peux te prendre le sac ? Merci. Je vais mettre ma casquette et boire un petit coup d’eau moi. Tu en veux ? Tu veux un petit gâteau ?

Elma avance et s’approche de la rambarde. Elle fait vibrer le filin et elle se tait et Bercy aussi. Elle dit des mots à Everest dans sa tête. Elle dit des mots à la rambarde. Ça fait au moins six ans qu’elle a abandonné son enquête. Un jour le responsable des rambardes lui a envoyé le registre des rambardes. Elle a vu le voyage de la sienne et les quatre points par lesquels elle est passée. Quand on les relie tous sur la carte, ça donne deux petits virages. Peut-être qu’un jour cela dessinera un cœur. Elle devrait écrire au responsable et lui en demander plus. Elle devrait la chercher, l’attraper ou l’acheter pour la faire fondre et la compacter en un petit bloc qu’elle pourrait enterrer ; mais tout le monde trouverait ça bizarre. Alors il faudrait peut-être le faire mais sans le dire mais il y a Bercy qui s’est remis à parler. Il vient de comprendre que l’île est un ancien fort militaire.

Mai 2054 (65 ans).

Il y a Elma qui descend le pont du bateau de la RTM (Régie des Transports Métropolitains) suivie de deux enfants et de Bercy. C’est presque comme leur grand-mère. Elle ne pense plus à la rambarde depuis quelques années et il y a juste une petite fleur dans son sac pour Everest. Dans son sac, il y a aussi deux étuis à lunettes (un pour les lunettes de soleil, un autre pour les lunettes de vue), un paquet de mouchoir et un long portefeuille. Elle est là pour visiter l’île, ce qu’elle n’a jamais fait. Alors Bercy installe tout le monde à la terrasse d’un bar qui était le Pub Marina mais qui porte désormais un autre nom.

On se déplace vers la petite cabane. On ne sait pas vraiment ce que l’on doit faire, ni qui l’on attend mais on reste proche du groupe de touristes qui était là avant nous. De toute façon, il ne doit pas y avoir quarante mille visites, surtout en mi-saison, nan ? Bercy a chaud. Et puis finalement il y a une jeune femme qui arrive avec une casquette et elle dit qu’on est les bienvenus et que si tout le monde est là alors on peut y aller. Alors on part et on la suit et elle explique que ça fait partie du parc des calanques et qu’il faut faire bien attention à la flore et ne pas s’écarter du sentier. D’accord ? Elle parle du moyen-âge, elle parle des carrières et des ouvriers, de la marine nationale et des nazis. Bercy fait une blague mais personne ne rit.

Il se rattrape. Mais alors ça fait combien de temps qu’il y a du tourisme sur l’archipel ? La guide répond que c’est une très bonne question car l’île a toujours bénéficié d’un statut particulier. Les constructions que vous voyez ici, ou celles que nous avons longées avant d’arriver sur le chemin, ont toutes reçu un agrément. L’installation du moindre panneau ou l’arrivée de n’importe quelle rambarde est contrôlé et il faut dire que la classification Natura 2000… Comme si toutes les rambardes étaient pareilles ! Elma se met à pleurer. Pardon ? Je dis que vous parlez des rambardes de manière très générique alors qu’il en existe plusieurs types et que dans ces types elles sont toutes très différentes. Oui, vous avez certainement raison. Elma se rappelle qu’elle n’a jamais répondu au responsable des rambardes et se demande où est-ce que la sienne se niche désormais. Elle n’est donc pas de très bonne humeur lorsqu’elle redescend vers le port mais elle tient quand même la main  d’un des enfants. La fleur est toujours dans son sac.

Mai 2086 (97 ans).

Everest n’est plus là, la meilleure copine n’est plus là, Aurélie n’est plus là, Bercy n’est plus là et Elma est là à moitié. On pose un bouquet, on dit que c’est vraiment magnifique. C’est vraiment magnifique, hein ? Et on lui demande si elle n’a pas trop chaud. Tu n’as pas trop chaud, non ? Sinon tu dis, hein ? Personne ne voit qu’Everest dit des mots au sujet des rambardes. Elma est soulagée. Elle comprend que les objets, bien qu’agentifs, ne sauraient être tenus responsable des évènements. Elle comprend également que les mathématiques ne conjurent pas l’oubli et que les cicatrices sont des traces, les traces des blessures et les blessures des sortes de rêves. Elle se dit qu’elle devra raconter tout ça dans le carnet et puis ça s’évanouit quand on lui demande si elle a soif. Sinon tu dis, hein ?

Mai 2150.

Et il n’y aurait plus rien qu’une vieille rambarde posée au sommet de l’île de Ratonneau dans l’archipel du Frioul. En contre-bas, le port, en face le château d’If et sa tour, à gauche Marseille, Notre-Dame de la Garde et les massifs brûlés. Autour de nous il y aurait le calcaire, il resterait les falaises et la Méditerranée, le ciel et le soleil et puis c’est tout.

Faire tout bien

Faire tout bien et l’adjudant se tenait face au trou, les mains sur les hanches. Parce que là, vu la profondeur, je vais devoir le signaler en mairie. Il regardait Georges. On ne peut pas faire ça comme ça, comme on veut. Là y’a quoi ? Pas loin de cinq mètres ? Oui, cinq mètres, cinq mètres cinquante. Georges piqua sa pelle dans l’herbe. Là-bas, une Clio se tenait sur le flanc.
 
Non parce que moi, ce qui m’embĂŞte, c’est que si le jeune n’avait pas atterri dans votre jardin, vous auriez continuĂ© votre affaire. Je m’trompe ? Est-ce que j’me trompe ? Georges sortit un mouchoir de sa poche de chemise et s’essuya le front. On ne peut pas creuser comme ça dĂ©jĂ  parce que vous auriez pu toucher une conduite et puis parce qu’il faut une autorisation et puis, imaginez, si la voiture avait glissĂ© jusqu’au trou. Georges se pencha pour agripper son seau. Bon de toute manière, lĂ , c’est dĂ©claration en mairie et il faudra venir nous voir cette après-midi. Georges fit un signe de tĂŞte, Poirat le salua et regagna sa voiture. Les petits officiers suivirent.
 
Arrivé dans le bourg, l’adjudant se gara devant la mairie.
 
La secrétaire lut sur son écran. Il faut une autorisation pour, je cite, la réalisation d’opérations d’affouillement et d’exhaussement du sol d’une profondeur ou d’une hauteur excédant deux mètres et, et, et qui portent sur une superficie supérieure ou égale à cent mètres carrés. Elle regarda l’adjudant par-dessus ses lunettes puis par-dessus le comptoir. Donc, théoriquement, il est autorisé à creuser parce que la superficie… De toute manière qu’est-ce qu’il veut nous faire avec son trou le monsieur ? Poirat avait toujours la bouche pincée. Parce que si c’est pour aller chercher les conduites de la commune, ça va au tribunal ça.
 
Ce qui perturbait Poirat c’est que Georges l’avait accueilli tranquillement, sans culpabilité. Et puis c’était un type que l’on voyait au village de temps en temps.
 
Je le reçois cette après-midi. On va tirer ça au clair. Il allongea le mot clair en tapant le comptoir de la paume, laissa glisser sa main jusqu’au rebord et partit.
 
Revenu Ă  la gendarmerie, Poirat lança des recherches sur sa machine. Rien sur Georges. C’est Ă  ce moment que se prĂ©senta le correspondant. J’ai appris pour l’accident de ce matin. Il sortit son carnet et Poirat suspendit sa respiration. Et puis Ă©videmment je voulais aussi te parler du trou. C’est quoi ? Un test ? Une tentative de re-cord ? Parce que j’ai lu sur Internet qu’un anglais avait fait un truc dans le genre. Sinon une Ă©olienne ? Poirat n’avait pas pensĂ© Ă  ça. De toute manière, pour une Ă©olienne, il fallait un permis. Il congĂ©dia le correspondant et se replongea dans ses icĂ´nes de dossiers – le trou – tout en Ă©chappant des regards vers la fenĂŞtre. Ă€ 18h, Poirat tourna la clĂ© dans la porte principale. Ă€ l’étage au-dessus, il en toucha un mot Ă  sa femme. Et si c’était simplement un truc pour se faire mousser, ĂŞtre connu quoi ou se faire de l’argent ? Comment on peut se faire de l’argent avec un trou ? Je ne sais pas pour vendre de la terre ou pour… Je ne sais pas pour, faire visiter le trou, avec un ticket, pour faire payer les gens. Des gens qui paieraient pour un ticket pour entrer dans le jardin pour regarder dans le trou.
 
Poirat termina son assiette,
la mit dans le lave-vaisselle.
 
Poirat regarda la télévision.
 
Poirat se brossa les dents.
 
Poirat jeta ses chaussettes en boule dans la corbeille.
 
Poirat remonta la couverture.
 
Poirat pensa. Poirat ferma. Les yeux.
 
Que ce soit un ingĂ©nieur ou un Ă©colo, demain, il allait conduire jusqu’Ă  lui dire, que les dossiers, que les lunettes de la mairie, des Ă©oliennes, qu’il faut, des permis de tribunal, du ; trou.
Ă€ l’aube, en basket, vĂŞtu d’un jogging, les yeux piquants, il sonna Ă  la porte. Une deuxième fois, plus longtemps avec une demi-croche de sonnerie supplĂ©mentaire pour terminer. Poirat fit quelques pas le long du terrain et entra via l’ouverture crĂ©Ă©e par la Clio. Il marcha entre le mur de la maison et les traces de freinage puis tourna au premier coin. Alors qu’il s’approchait du trou, il vit un seau Ă©merger de la cavitĂ© et s’arrĂŞter contre la poulie. Monsieur ? Deux gants suivirent puis la tĂŞte de Georges. Le faisceau de la lampe frontale fit hausser la main de l’adjudant devant ses yeux. Bonjour. Georges saisit le seau, Poirat rompit le pare-soleil, Georges vida le seau. Bonjour. Je vous ai attendu hier. Oui. Vous n’avez pas respectĂ© la convocation. Georges tapotait son jean pour en faire tomber la terre. Frontale, pare-soleil. Et le non-respect d’une convocation c’est grave.
 
C’est tout ce que j’ai trouvĂ©. Il Ă©teignit sa frontale. C’est pour Ă©crire l’histoire d’un type qui creuse un trou. Il reprit son seau, enfila la anse Ă  son bras droit et la remonta jusqu’au coude, il saisit chaque cĂ´tĂ© de l’Ă©chelle en flĂ©chissant lĂ©gèrement les genoux, engagea sa jambe droite dans le vide, la pivota contre un barreau, puis tout son corps, Ă©changea ses mains de place et mis son second pied sur le barreau du dessous. J’ai rien compris, quoi ? Et Georges descendait parce qu’il faut faire tout bien.

Deux images RER

Personne ne sait ce que ça veut dire RER.

Sur l’ocĂ©an-bĂ©ton, les yeux remontent jusqu’au dernier vigile. Derrière, il doit exister une montagne, une courbe alors ou mĂŞme juste un point. La rame cabre, l’Ă -coup, l’arrĂŞt Ă  chaque cran. L’altitude n’ouvre rien et l’arbre est une-colonne-la-colonne-une-colline-la-colline, un nuage. Ça n’est qu’une forĂŞt-fenĂŞtre et le dernier immeuble doit exister

mais après l’horizon
derrière une première rangĂ©e de rails, puis un chemin, sur une dalle, il fait gris, l’immeuble en construction, c’est le matin. C’est composĂ© de traces blanches, de moellons, de trous et de mauvaises herbes. Et puis ce feu dans une brouette.

Excursus : sur le motcerveau

Nous avons tous un mot coincĂ© quelque part dans le cerveau. La recherche mĂ©ricaine le dit. La recherche anadienne le dit aussi, tout le monde le dit. Ce mot se situe quelque part dans le cortex prĂ©frontal, au croisement du cinquième et du seizième neurone, cachĂ© derrière une petite porte de tissu sans clĂ©, ouverte Ă  qui le veut. Son identification par la neurologie remonte au milieu du siècle avant-dernier. Il a alors Ă©tĂ© qualifiĂ© de « mot-cerveau », puis de « motcerveau » (brainword) en rĂ©fĂ©rence Ă  la notion linguistique de « mot-forme » (wordform). Le motcerveau se dĂ©veloppe autour du troisième mois de grossesse dans la rencontre entre les deux mots portĂ©s par les gĂ©niteurs. Si nous ne connaissons pas encore avec suffisamment de prĂ©cision les raisons de la formation du motcerveau chez le fĹ“tus, il correspondrait vraisemblablement Ă  l’entremĂŞlement des lettres prĂ©sentes dans les motcerveaux des parents, Ă  la façon d’un anagramme. Bien Ă©videmment, des lettres peuvent disparaĂ®tre au cours de ce processus. C’est Ă©vident. Dans l’étude rĂ©silienne, il est montrĂ© qu’environ 47% des lettres, en moyenne, sont perdues Ă  la rencontre entre les deux motcerveaux-parents. Ainsi, si l’un des gĂ©niteurs porte le mot « recherche » et que l’autre porte le mot « poĂ©sie », alors l’enfant pourra naĂ®tre avec les mots « sorcière », « perchoir » ou encore « orphies » dans la tĂŞte – ou plutĂ´t dans le cerveau.
 
Dans certain cas très spécifiques, l’enfant peut également naître avec un motcerveau-composé en tête. Ce sera le cas de celui dont les géniteurs porteraient, par exemple, les mots « porte » et « feuille » (portefeuille) ou encore « médecin » et « chef » (médecin-chef). Dans certains cas plus spécifiques encore, la rencontre des motcerveaux-parents peut produire un motcerveau-valise. Une équipe de recherche ustralienne témoigne du cas d’une jeune fille (8 ans) portant en elle le mot « bibliobus ». La rencontre entre les motcerveaux-parents semble ainsi avoir opéré par fusion-élision des mots « bibliothèque » et « autobus ». Notons que la recherche ne s’est pas encore penchée sur l’identification et la formation des motcerveaux dans les langues picto- et idéographiques.
 
Si l’existence du motcerveau a Ă©tĂ© mise en Ă©vidence par les neurosciences, elle intĂ©resse Ă©galement la psychologie. Son identification prĂ©coce semblerait faciliter le dĂ©veloppement des facultĂ©s cognitives, langagières, affectives et sociales. Une meilleure comprĂ©hension des mĂ©canismes d’identification du motcerveau semble donc constituer un enjeu de santĂ© majeur pour les annĂ©es Ă  venir et celles d’avant et celles d’après. Comment mieux accompagner les enfants et les adultes dans l’identification de leur motcerveau ? Comment mieux sensibiliser l’environnement familial et les acteurs de l’Ă©ducation Ă  la dĂ©couverte du motcerveau ? Comment mieux encadrer les cas atypiques (motcerveaux-composĂ©s, motcerveaux-valise), propices au manque d’efficacitĂ© dans les relations sociales, Ă©conomiques et environnementales ?
 
Une telle recherche n’est pas sans poser des questions d’ordre Ă©thique aux chercheurs spĂ©cialistes des motcerveaux. Pour le docteur Atrick, c’est la « […] question de l’autonomie de l’individu dans l’auto-dĂ©tection du mot qu’il faut dĂ©sormais poser ». Le motcerveau est en effet clairement lisible de la petite enfance jusqu’au dĂ©but de l’âge adulte. En revanche, la recherche montre que le processus de vieillissement produit un recouvrement progressif, par le tissu nerveux, de la petite porte derrière laquelle celui-ci se trouve. Le risque est alors de ne plus pouvoir accĂ©der au motcerveau en raison d’une amplitude de battement insuffisante. Ă€ trente ans, le motcerveau n’est dĂ©jĂ  plus identifiable par les techniques de prise de vue habituelle, sauf dans les cas oĂą les individus prĂ©senteraient un entrebâillement dès la naissance. Ces cas sont cependant rares.
 
Comme le rappelle le docteur Atrick, la prioritĂ© est Ă  la rĂ©gulation des ouvertures de porte. La dĂ©couverte du processus de recouvrement nerveux favorise  l’émergence d’un marchĂ© libre de tout encadrement professionnel et lĂ©gislatif. En tĂ©moigne la multiplication, sur l’Internet, des publicitĂ©s vantant l’extraction du motcerveau par fracturation. Rappelons, si besoin Ă©tait, que c’est extrĂŞmement dangereux.

Les personnes (VII)

Nous partageons une table dans un Starbucks. La rue commerçante est de l’autre cĂ´tĂ© de la vitre. Le bruit des coupelles et des chariots du lave-vaisselle est Ă  trois mètres de nous. La limite est posĂ©e par une rangĂ©e de barres de bois verticales fixĂ©es Ă  l’entrĂ©e de la petite pièce dans laquelle est situĂ©e notre table. Elle est parfaitement ronde et prĂ©fabriquĂ©e avec les marques du temps. Nous avons six chaises mais nous sommes quatre et personne ne nous rejoindra Ă  moins que l’un d’entre nous ne quitte la pièce.

Nous ne nous regardons pas. Vous voulez que je me décale ? Ça ira, merci. Nous sommes quatre corps, trois ordinateurs, quatre téléphones (branchés), une tablette (avec stylet), une calculatrice (scientifique), trois tasses blanches, un grand verre logotypé, une cigarette électronique, une chemise à élastiques, une trousse et un carnet grenat.

Ă€ la première chaise, un polo, une montre et une Ă©tiquette posĂ©e par l’informaticien de l’entreprise sur le capot de l’ordinateur. Il touche le pad, tape quelques lettres, il règle son tableur. Ă€ la deuxième chaise, des lunettes et un pull vert avec une inscription, Montana. Il calcule, vĂ©rifie, re-calcule.

Ă€ la troisième chaise, ses Ă©couteurs, son pantalon rouge, son Ă©charpe rayĂ©e, qu’elle enroule Ă  l’instant pour ĂŞtre comme Ă  la maison. Elle consulte son tĂ©lĂ©phone puis son carnet dans lequel elle a dessinĂ© un grand agenda. Elle va rayer quelque chose. Elle raye et elle reporte sur l’ordinateur.

Ă€ la quatrième chaise l’Ă©criveur le regard portĂ© sur la première chaise dĂ©sormais occupĂ©e par une sacoche que l’on remplit d’un ordinateur, d’un chargeur enroulĂ© sur lui-mĂŞme puis d’un autre chargeur encore enroulĂ© sur lui-mĂŞme. La sacoche zippĂ©e, Ă©paule droite, il quitte la pièce une tasse Ă  la main. Il manque quelqu’un.

Les personnes (VI)

Elle lit un bouquin dont le titre est La guerre des mots. Elle porte d’abord des chaussures, genre de mocassins noirs avec une boucle dorĂ©e, sans chaussettes. Le pantalon est noir, aussi, et le haut, aussi. Elle attend avec sa veste sur les genoux. Un motif lĂ©opard enroule son sac Ă  main jaune pâle-passĂ© en tissu. Elle est bijouĂ©e, aussi. Une montre, petite, cadran rectangulaire, bracelet en mĂ©tal, au poignet gauche. Sur la main droite, une bague Ă  l’index, grosse, translucide, comme les presse-papiers avec une photographie de petit chien Ă  l’intĂ©rieur. Un collier, deux colliers. Un premier en mĂ©tal avec un dessin religieux Ă  l’intĂ©rieur. Un second comme un lacet de chaussures de ville. Au-dessus, sa tĂŞte, ses lunettes fantaisie et ses petits yeux bleus. Les cheveux grisonnants attachĂ©s en une queue. Elle approuve le livre, elle est d’accord, mais oui, index sur la bouche. Et puis sa copine revient de la radiographie.

Les personnes (V)

Trois jours de barbe. Il porte une chemise bleu clair sous une veste sportswear. Sa calvitie est classe, comme celle de Zidane en 2006. Il travaille dans le management mais ses lunettes disent son cĂ´tĂ© culturel. Sa tĂŞte est Ă©quipĂ©e d’un gros casque Sony. Dans la file d’attente du bar TGV, il lit son tĂ©lĂ©phone avec dĂ©sapprobation puis il part vers la fenĂŞtre regarder le paysage. Il commande finalement un double expresso mais il a toujours ce petit mouton de poussière suspendu Ă  la barbe. Il part en disant merci avec un petit clin d’œil.

Les personnes (IV)

Elle lui explique que son amie achète peu de bijoux, peu de fringues mais que tout ce qu’elle achète est quali. D’ailleurs sa veste de ski est une Rossignol et sa montre une Cartier. Ils sont assis dans un carrĂ© de mĂ©tro l’un face Ă  l’autre, en tenues de randonnĂ©e chics et discutent de leurs amis donc. Il tient un gros tĂ©lĂ©phone pomme Ă©quipĂ© de trois objectifs et elle un petit sac de chocolats suisses.

Elle rappelle que c’est Fred qui a quittĂ© son amie. Fred a des idĂ©es bien arrĂŞtĂ©es et une forme d’idĂ©alisme sur plein de trucs. Le retour en France n’est pas simple. Fred repartira certainement. D’ailleurs, ils seront nombreux au mariage cet Ă©tĂ© et Louise sera triste car la rupture avec Aurel’ a Ă©tĂ© compliquĂ©e. Elle est dĂ©vastĂ©e. Pareil pour Marine, elle est dĂ©vastĂ©e. C’est compliquĂ© aussi. Elle ne dit pas qu’il y a des ruptures simples (parce que ça fait toujours quelque chose) mais voilĂ …

La ligne 5 continue son chemin après Jaurès. Ils ne sont qu’à deux stations. Dans deux minutes ils seront arrivĂ©s. Elle n’est absolument pas motivĂ©e par sa semaine, lui non plus.

Enfin. Ils arrivent et elle lui demande s’il se rappelle ce qu’elle lui avait dit au sujet d’Antoine. Ourcq, publicitĂ© pour Le Bon MarchĂ©. Ils sortent de la rame et prennent Ă  gauche sur le quai.

Les personnes (III)

Il porte un t-shirt blanc sans inscription et son pantalon s’appelle « le pantalon ». C’est Ă©crit sur une petite Ă©tiquette de sa poche arrière. Il a les cheveux hirsutes et des lunettes rondes Ă  grosse monture. Il appuie sur entrĂ©e une fois, deux fois mais le wifi ne fonctionne pas.

Il a mal au cou alors il se masse doucement. Le claviotement de ses emails accompagne les raclements de gorge, les cliquetis de stylo, les soupirs, les pages de journaux et les soupirs encore.

Il ouvre son agenda numérique puis plonge dans l’instagram mais les messages arrivent. La conversation avec Amaury et les copains, un emoji PTDR et une notification des Échos. Selon son téléphone il fait douze degrés et le PSG a perdu hier soir. Il s’étire, le wifi est revenu.

Les personnes (II)

Ils pensent que les NFT c’est la révolution. Ils ont mis Nirvana dans une télé cathodique et leurs dessins sur des feuilles
A4.
Ils disent leur CV. Ils ont travaillé dans la publicité et puis dans les pure-players et ensuite ils sont rentrés dans le plus grand groupe de médias au monde où ils exercent le nouveau métier de stratège
créatif.
Ils ne savent pas trop quoi penser de quelqu’un qui travaille à l’université. Ils disent aussi que ce n’est pas possible de vivre en dehors de Paris mais que quand même que ça attire de plus en plus de monde, avec le confinement. Ils disent que c’était dur pour leur couple. Ils disent qu’ils se sont séparés, qu’il est tombé dedans, que tu devrais avoir une complémentaire car la retraite ils n’y croient pas. Ils disent qu’il ne faut pas être naïf, qu’il faut être malin.